avoir 20 ans en 2010

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ametpierre
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Message par ametpierre »

c'est le titre du courrier int cette semaine
je trouve cet article tres intéressant:
http://www.courrierinternational.com/ar ... ou-adultes
bonne journée
" que l'homme est petit sur l'atome où il se meut..." (Chateaubriand)
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remi.450
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Message par remi.450 »

Mais il faut s'abonner pour le lire...
Rémi

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ametpierre
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Message par ametpierre »

tu n'arrives pas a lire le lien ?
je te le copie ci-desous

Ados ou adultes ?

Ils ont entre 20 et 30 ans. Ils ne sont plus adolescents mais pas encore adultes. Pour le professeur de psychologie Jeffrey Arnett, ils représentent un phénomène inédit dans l’histoire humaine.



Pourquoi les gens de 20 ans mettent-ils autant de temps à devenir adultes ? La question est partout sur fond d’inquiétude concernant les “faux départs” et les “enfants ­boomerang”. La couverture d’un numéro de l’hebdomadaire The New Yorker, au printemps dernier, donnait bien la tonalité : un jeune homme accroche son diplôme de doctorat fraîchement obtenu dans sa chambre de petit garçon. Le carton, à ses pieds, témoigne de son projet de réintégrer le domicile familial maintenant qu’il est officiellement surqualifié. Sur le pas de la porte, ses parents affichent résignation, inquiétude, agacement et perplexité : comment en est-on arrivés là ?

Ça se passe comme ça dans toutes sortes de familles : non seulement les jeunes se réinstallent chez leurs parents mais ils mettent plus longtemps à entrer dans l’âge adulte. Le phénomène date d’avant le marasme économique actuel et personne ne sait encore quelles seront ses conséquences sur la vie de ces jeunes ; sur celle de leurs parents, dont ils sont si nombreux à dépendre ; sur la société, bâtie dans la perspective d’une progression harmonieuse dans laquelle les enfants finissent leur scolarité, deviennent adultes, entrent dans la vie active, fondent une famille et finissent par prendre leur retraite, financée par une autre génération d’enfants, qui finissent leur scolarité, deviennent adultes, entrent dans la vie active, fondent une famille et ainsi de suite…

Aujourd’hui, les gens de 20 ans sont une boîte noire au contenu indéchiffrable. Un tiers d’entre eux déménagent chaque année. Ils sont 40 % à retourner au moins une fois vivre chez leurs parents. Entre 20 et 30 ans, ils enchaînent en moyenne sept emplois, chiffre supérieur à toutes les autres tranches d’âge. Et ils se marient de plus en plus tard. Au début des années 1970, l’âge médian au premier mariage était de 21 ans pour les femmes et de 23 ans pour les hommes. En 2009, il est passé à 26 ans pour les femmes et à 28 ans pour les hommes.

On est en plein dans ce qu’un sociologue appelle “le bouleversement du calendrier de passage à l’âge adulte”. Les sociologues considèrent en général que cinq jalons marquent l’entrée dans l’âge adulte : fin des études, départ du foyer familial, autonomie financière, mariage et naissance du premier enfant. En 1960, 77 % des femmes et 65 % des hommes avaient franchi ces cinq étapes avant d’atteindre 30 ans. En 2000, d’après les données du Bureau du recensement américain, ce n’était le cas que pour moins de la moitié des femmes et un tiers des hommes.

L’idée même de jalons est dépassée : elle implique l’existence d’un chemin tout tracé vers l’âge adulte, ce qui est plutôt rare de nos jours. Les jeunes ne marchent pas tous d’un même pas sur la route de la maturité. Ils s’acheminent sans se presser vers l’âge adulte, chacun à son rythme. Certains ne franchissent jamais les cinq étapes, notamment ceux qui ne se marient pas ou n’ont pas d’enfants par choix, ou ceux qui ne peuvent pas se marier, même s’ils le voulaient, parce qu’ils sont homosexuels. D’autres franchissent toutes les étapes, mais dans le désordre.

Une chose est claire en tout cas : l’entrée dans ce que l’on appelle généralement l’âge adulte se produit de plus en plus tard. Pourquoi ? Cette question fait l’objet d’intenses débats chez les décideurs politiques et les universitaires. Pour certains, ce n’est qu’un épiphénomène, le résultat d’une conjonction de forces économiques et culturelles. Pour d’autres, l’allongement du chemin vers l’âge adulte est l’indice d’un processus profond, durable et peut-être mieux adapté à notre fonctionnement neurologique : nous assistons à l’avènement d’une nouvelle phase de la vie.

Jeffrey Jensen Arnett, professeur de psychologie à l’université Clark de Worcester, dans le Massachusetts, est à la tête du mouvement visant à faire de “la vingtaine” une nouvelle phase de la vie, qu’il appelle “l’âge adulte émergent” [emerging adulthood]. Ce qui se passe aujourd’hui, explique-t-il, est semblable à ce qui s’est produit il y a un siècle, lorsque les changements socio-économiques ont conduit à la création du concept d’adolescence. De nouveaux changements, analogues, survenus au tournant du xxie siècle ont préparé le terrain pour une nouvelle phase, allant de 18 ans à la fin de la vingtaine. Arnett cite quelques-uns des changements qui ont conduit à l’apparition de ces “adultes émergents” : l’allongement de la durée des études ; la raréfaction des emplois destinés aux débutants ; l’entrée dans les mœurs du concubinage et de la contraception, retardant les projets de mariage ; le fait que les femmes soient moins pressées d’avoir des enfants parce qu’elles disposent d’un large choix de carrières et d’un accès à la procréation assistée si elles repoussent leur grossesse au-delà de l’âge où elles sont le plus fertiles.

Sens des possibles

D’après Arnett, les adultes émergents ont un profil psychologique particulier : exploration identitaire, instabilité, focalisation sur soi, sentiment d’être dans un entre-deux et une caractéristique assez poétique qu’il appelle “le sens des possibles”. Quelques-uns de ces traits, notamment l’exploration identitaire, sont également propres à ­l’adolescence, mais ils s’accentuent pendant la vingtaine. Les enjeux deviennent plus importants quand on approche de l’âge où les options tendent à se réduire et où il faut prendre des engagements pour la vie. C’est ce qu’Arnett appelle “l’échéance des 30 ans”.

L’âge adulte émergent constitue-t-il vraiment une nouvelle étape de la vie ? La question agite beaucoup les universitaires, en particulier les psychologues et les sociologues. Et leurs conclusions pourraient avoir des conséquences notables. Il suffit d’observer ce qui s’est passé avec l’adolescence. Les psychologues ont eu du mal, il y a un siècle, à démontrer que l’adolescence était une nouvelle étape dans le développement humain. Une fois cette idée admise, les institutions ont été obligées de s’adapter : éducation, santé publique, services sociaux, législation ont changé pour répondre aux besoins particuliers des 12-18 ans.

Mais comment conférer dans les faits un statut spécial aux gens de 20 ans ? Nos doutes sur ce point résultent de notre approche incohérente des marqueurs de l’âge adulte. Aux Etats-Unis, les jeunes ont le droit de vote à 18 ans mais, dans certains Etats, les enfants placés en famille d’accueil ne quittent pas le dispositif avant 21 ans. Ils peuvent s’engager dans l’armée à 18 ans, mais n’ont pas le droit de boire de l’alcool avant 21 ans. Ils peuvent conduire à 16 ans, mais ne peuvent louer une voiture avant 25 ans sans payer de suppléments. Nous sommes visiblement incapables de nous mettre d’accord sur l’âge à partir duquel une personne est en mesure d’assumer des responsabilités d’adulte. De plus, nous savons qu’il ne s’agit pas seulement d’une question d’âge.

Si la société décide de protéger ces jeunes ou de les traiter différemment des adultes, comment peut-elle le faire sans être autoritaire, moralisatrice, paternaliste – toutes choses que ces jeunes rejettent ? Qui plus est, certains, à 25 ans, sont mariés, avec deux enfants, ont une bonne situation et sont propriétaires de leur logement ; d’autres vivent toujours chez leurs parents et occupent des emplois temporaires, voire ne travaillent pas. Est-ce que cela signifie qu’il faut étendre certaines des protections accordées à l’adolescence à tous les gens de 20 ans ? A certains d’entre eux seulement ? Et auxquels ? Ce sont des décisions lourdes de conséquences, parce que ne pas apporter protection et soutien à des jeunes vulnérables peut les conduire à emprunter le mauvais chemin à un moment critique. A l’inverse, les surprotéger et les soutenir à l’excès peut parfois aggraver les choses, en transformant “le bouleversement du calendrier de passage à l’âge adulte” en prophétie autoréalisatrice.

1904, naissance de l’adolescence

Au-delà des querelles de spécialistes, une question préoccupe vraiment les parents : la prolongation de cette période incertaine de la vie est-elle une bonne ou une mauvaise chose ? La durée de la vie pouvant aller désormais jusqu’à 90 ans et plus, est-il souhaitable que les jeunes fassent à 20 ans et quelques des essais avant les choix auxquels ils devront se conformer pendant plus d’un demi-siècle ? Ou l’âge adulte est-il aujourd’hui si élastique, avec des choix de mariage et de carrière constamment remis en cause, qu’il vaudrait mieux que les jeunes se lancent dans quelque chose, faute de quoi ils risquent de ne jamais rattraper les plus précoces et d’être condamnés à rester toujours derrière eux ? L’âge adulte émergent est-il une période riche et variée, propice à la découverte de soi, comme le dit Arnett ? Ou est-il juste l’alibi d’une insouciance hédoniste ?

On fait généralement remonter la découverte de l’adolescence à 1904, avec la publication ­d’Adolescence, la célèbre étude de G. Stanley Hall, psychologue de renom et premier président de l’Association américaine de psychologie. Hall attribuait cette nouvelle phase de la vie aux changements sociaux du tournant du xxe siècle. Des lois sur le travail des enfants avaient libéré les moins de 16 ans du statut d’apprenti ou de manœuvre, et la scolarité obligatoire prolongeait la période durant laquelle ils étaient à charge, ce qui leur permettait de se livrer à un travail psychologique qu’ils n’auraient pas pu faire du temps où ils endossaient leur rôle d’adulte immédiatement au sortir de l’enfance. Hall décrivait l’adolescence comme une période de “tumulte et de stress” [storm and stress], faite de troubles affectifs, de tristesse et de rébellion. Il mentionnait aussi d’autres caractéristiques de l’adolescence : recherche accrue de sensations fortes et dépendance à l’égard des pairs. L’ouvrage de Hall n’était pas sans défauts, mais il marqua le début de l’étude scientifique de l’adolescence et contribua à faire considérer cette période comme une phase de la vie à part entière, avec ses défis, ses comportements et son profil biologique.

C’est dans les années 1990 qu’Arnett pressent qu’il se passe quelque chose de semblable avec les gens de 20 ans. Il enseigne alors à l’université du Missouri et s’intéresse aux étudiants résidant sur le campus et dans les environs de la ville de Columbia. Il leur pose des questions sur leur vie et sur leurs attentes, du type “Avez-vous le sentiment d’avoir atteint l’âge adulte ?”

Les jeunes qu’il interroge en ont fini avec les bouleversements physiques qui accompagnent l’adolescence, mais, en tant que classe d’âge, ils semblent présenter un profil psychologique différent de celui des personnes un peu plus jeunes ou un peu plus âgées.

Arnett élargit progressivement son échantillon aux villes de La Nouvelle-Orléans, Los Angeles et San Francisco. Il y inclut délibérément des jeunes issus de la classe ouvrière et d’autres de milieux aisés, des jeunes qui n’ont jamais fréquenté l’université et d’autres qui sont encore étudiants, des jeunes qui s’assument financièrement et d’autres dont les parents paient les factures. Son échantillon comprend un peu plus de 50 % de Blancs, 18 % de Noirs, 16 % d’Asiatiques et 14 % de Latinos.

Plus de 300 entretiens et 250 réponses à ses questionnaires confirment à Arnett qu’il tient quelque chose de nouveau. Ses sujets appartiennent tous à la génération X, mais Arnett a le ­sentiment que ses conclusions peuvent être extrapolées. En 2000, il publie ses conclusions dans la revue American Psychologist et avance pour la première fois sa théorie des “adultes émergents”. Cet article a été cité environ 1 700 fois dans des revues et des ouvrages professionnels, ce qui indique à tout le moins qu’Arnett a fourni un terme adéquat pour décrire une population particulière et, au mieux, qu’il a proposé une façon entièrement nouvelle de penser ce groupe.

Pendant cette période d’“émergence de l’âge adulte”, explique Arnett, les jeunes sont davantage centrés sur eux-mêmes qu’à tout autre moment de la vie, moins sûrs de l’avenir et pourtant plus optimistes, quel que soit le contexte ­économique. C’est là qu’intervient le “sens des possibles” : les jeunes n’ont pas encore tempéré la vision idéaliste de ce qui les attend. “Emplois ennuyeux, sans perspectives, divorces pénibles, enfants décevants et irrespectueux… Aucun d’eux ne s’imagine que c’est ce que l’avenir leur réserve”, écrit-il. Demandez-leur s’ils sont d’accord avec la phrase “Je suis convaincu qu’un jour ou l’autre je parviendrai à ce que je veux être dans la vie”, et 96 % d’entre eux répondent par l’affirmative. Mais, en dépit de tout ce qui rend cet âge de la vie palpitant, grisant même, il y a aussi un revers de la médaille : angoisse, frustration, incertitude, sentiment de ne pas comprendre les règles du jeu. Plus que des sentiments positifs ou négatifs, ce qu’Arnett a le plus souvent entendu, ce sont des sentiments ambivalents : 60 % de ses sujets lui ont déclaré se sentir à la fois adultes et pas tout à fait adultes.

Certains scientifiques rétorquent que cette ambivalence reflète ce qui se passe dans le cerveau, lui aussi à la fois adulte et pas tout à fait adulte. Les spécialistes des neurosciences pensaient jusqu’à une période récente que le cerveau cessait de se développer peu après la puberté, mais ils savent aujourd’hui que le processus se poursuit jusque dans la vingtaine. Cette nouvelle vision découle en grande partie d’une étude sur le développement du cerveau financée par l’Institut national de la santé mentale américain (NIMH), qui a suivi près de 5 000 enfants âgés de 3 à 16 ans (l’âge moyen d’entrée dans l’étude était de 10 ans). Les chercheurs ont découvert que le cerveau n’était pas pleinement mature avant au moins 25 ans. “Avec le recul, je ne qualifierais pas cette découverte de révolutionnaire, mais à l’époque ça l’était”, m’a confié le directeur de l’étude, Jay Giedd.

Quand l’étude du NIMH a débuté, en 1991, Giedd et ses collègues avaient prévu de l’arrêter lorsque les sujets atteindraient l’âge de 16 ans. “Nous nous disions qu’à 16 ans leur corps aurait déjà achevé son développement”, explique-t-il. Mais, chaque fois que les enfants revenaient, les chercheurs s’apercevaient que leurs cerveaux étaient encore en évolution. Ils ont donc porté la fin de l’étude à 18 ans, puis à 20 ans et enfin à 22 ans. Les cerveaux des sujets continuaient de changer. Fait révélateur : les changements les plus importants avaient lieu dans le cortex préfrontal et dans le cervelet, régions impliquées dans le contrôle des émotions et dans les fonctions cognitives supérieures.

Au cours de la maturation cérébrale, il se produit un phénomène, appelé élagage synaptique, qui est déterminé par l’usage fait par chaque individu des chemins cérébraux. En éliminant les chemins inutilisés, le cerveau se stabilise dans la structure la plus fonctionnelle pour l’individu auquel il appartient. L’élagage synaptique s’intensifie une première fois après la rapide prolifération des neurones pendant l’enfance, puis pendant cette période qui englobe l’adolescence et la vingtaine.

Comme un air d’inachevé

Les chercheurs du NIHM ont également découvert un décalage entre le développement du système limbique, où naissent les émotions, et celui du cortex préfrontal, qui gère ces émotions. Le système limbique explose à la puberté, alors que le cortex préfrontal continue de se développer pendant encore dix ans. Pour Giedd, il est logique de supposer que, lorsque le système limbique est pleinement actif et le cortex toujours en construction, les émotions l’emportent sur la rationalité. “Le lobe préfrontal est celui qui permet de contrôler les impulsions, de déterminer une stratégie à longue échéance et de répondre à la question ‘Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ?’ explique-t-il. Cette évaluation de l’avenir change en permanence entre 20 et 35 ans.”

Rien de tout cela n’est nouveau, bien sûr : avant même de disposer de scanners perfectionnés permettant de le cartographier avec précision, on connaissait les capacités d’évolution du cerveau des jeunes. Pourquoi invoquer maintenant cet argument pour expliquer que les gens de 20 ans aient l’air un peu inachevés ? Il y a peut-être un parallèle à faire avec la “pyramide des besoins”, théorie élaborée dans les années 1940 par le psychologue Abraham Maslow. Selon lui, les êtres humains ne peuvent poursuivre des objectifs plus élevés qu’une fois leurs besoins essentiels (alimentation, logement, sexualité) satisfaits. Le cerveau aurait-il sa propre pyramide des besoins ? Lorsqu’un jeune est forcé d’assumer précocement des responsabilités d’adulte, peut-être fait-il ce qu’il a à faire, que son cerveau y soit prêt ou non. Peut-être est-ce seulement aujourd’hui, les jeunes ayant la possibilité de différer leurs obligations d’adultes sans craindre d’être blâmés, que le rythme de maturation sociale s’accorde mieux avec celui de la maturation du cerveau.

Les attentes sociales peuvent également accentuer le décalage. “Le bouleversement du calendrier de passage à l’âge adulte” a été, à bien des égards, intériorisé par les 20-30 ans et leurs parents. Aujourd’hui, les jeunes ne s’attendent pas à se marier avant 27 ans, n’envisagent pas de fonder une famille avant 30 ans et s’attendent à entrer dans la vie professionnelle bien plus tard que leurs parents. Ils prennent donc, quant à leur avenir, des décisions qui reflètent cet horizon à plus long terme.

Parents hélicoptères

Quant aux parents, ils ne s’attendent pas non plus à voir leurs enfants devenir adultes tout de suite et ils n’en ont parfois même pas envie. Soit qu’ils regrettent eux-mêmes de s’être mariés ou d’avoir dû travailler trop tôt, et espèrent voir leurs enfants faire des choix plus réfléchis, soit qu’ils veuillent maintenir un lien rassurant avec leurs enfants en train de quitter le foyer. S’ils ont été des “parents hélicoptères” – fortement impliqués, constamment en train de tourner autour de leurs enfants, prêts à fondre sur eux pour résoudre leurs problèmes sur-le-champ –, ils ­peuvent continuer à leur tourner autour et à résoudre des problèmes que les jeunes devraient régler eux-mêmes depuis longtemps. C’est peut-être l’une des raisons qui font que les jeunes ­restent dans les limbes entre l’adolescence et l’âge adulte. Il est parfois difficile de savoir dans quelle mesure un enfant ne veut pas vraiment grandir et dans quelle mesure ce sont ses parents qui ne veulent pas le laisser partir.

Le retard du passage vers l’âge adulte est observé depuis plusieurs années, mais il varie en fonction de paramètres économiques et sociaux. C’est l’impression que l’on a en lisant les études de cas d’Arnett ou les textes publiés dans l’ouvrage 20 Something Manifesto [Le manifeste des 20 ans, non traduit en français], une anthologie éditée par Christine Hassler, coach en développement personnel et auteure de ­plusieurs ouvrages sur la question.

Cela dit, Arnett insiste sur le fait que les adultes émergents ne sont pas uniquement des jeunes privilégiés et qu’il ne s’agit pas simplement pour eux de vivre une période d’insouciance hédoniste. Dans son ouvrage Emerging Adulthood, il a jugé utile de décrire les cas des jeunes de milieux défavorisés qui exploitent la focalisation sur soi et l’exploration identitaire inhérentes à cet âge pour transformer leurs vies. Parmi eux, on trouve le cas de Nicole, jeune femme noire de 25 ans qui a grandi dans une cité HLM d’Oakland, en Californie. A 6 ans, en tant qu’aînée de la famille, elle a été contrainte de s’occuper de la maison, en raison de la maladie mentale de sa mère. A 8 ans, elle faisait des ménages et du baby-sitting pour permettre à ses trois frères et sœurs de manger et d’avoir un toit. “Je ramenais quelques dollars pour aider ma mère et ma famille à s’en sortir”, a-t-elle confié à Arnett. Elle a réussi de justesse à obtenir son diplôme de fin d’études secondaires et a décroché un emploi de réceptionniste dans une clinique. Elle a alors emménagé dans son propre appartement, a suivi des cours du soir et a commencé à se surpasser. Dans son livre, Arnett présente Nicole comme le symbole de tous ces jeunes issus de milieux défavorisés pour qui “l’émergence de l’âge adulte est l’occasion – peut-être la dernière – de donner une nouvelle direction à leur vie”. C’est l’occasion pour quelqu’un comme Nicole d’échapper à une famille abusive ou carencée et de réaliser enfin ses rêves. Ceux de Nicole sont ambitieux – elle est près de décrocher l’équivalent d’un DEUG et prévoit de poursuivre par une licence, puis un doctorat de psychologie –, mais elle n’a pas tourné le dos à sa famille. Ce qui arrive d’ailleurs peu souvent dans des cas analogues. Elle subvient toujours en partie aux besoins de sa mère et de ses frères et sœurs, raison pour laquelle elle travaille à plein-temps, alors qu’elle progresserait plus vite dans son cursus si elle pouvait se contenter d’un emploi à temps partiel. Bien évidemment, le cas de Nicole n’est pas représentatif de la société dans son ensemble.

Même Arnett reconnaît que tous les jeunes ne passent pas par une période d’émergence de l’âge adulte. Il explique que c’est un phénomène rare dans les pays en développement et une étape que sautent souvent, dans les pays industrialisés, ceux qui se marient jeunes, les mères adolescentes et ceux qui dès la sortie du lycée acceptent par nécessité le premier emploi disponible. Le fait que l’émergence de l’âge adulte ne soit pas universelle est l’un des arguments les plus forts que l’on oppose à Arnett et à sa thèse d’un nouveau stade de la vie. Si cette étape du développement humain est si essentielle, comment se fait-il qu’elle manque à la majeure partie de l’humanité ?

Richard Lerner, professeur de sciences appliquées du développement à l’université Tufts, explique que “l’idée fondamentale de la théorie des stades est que tous les êtres humains passent par une série de périodes qualitativement différentes selon une séquence invariable et universelle dont l’ordre ne peut être modifié”. Lerner est un proche d’Arnett. Mais il a beau apprécier son ami, il pense qu’il a fait abstraction de certains principes de base de la psychologie du développement. Selon la théorie classique des stades du développement, m’explique Lerner, “on doit développer ce que l’on est censé développer au moment où l’on est censé le développer ou alors on ne le développera jamais comme il faut”.

J’interroge Arnett sur ce qui arrive à ceux qui ne passent pas par l’étape d’émergence de l’âge adulte : il répond que ce n’est pas nécessairement un problème. Ils peuvent accomplir les tâches inhérentes à cette étape – exploration identitaire, focalisation sur soi, expérimentation dans les domaines de l’amour, du travail et de la vision du monde – un peu plus tard, à l’occasion de la crise de la quarantaine, ou peut-être même jamais. Cela dépend entre autres des raisons pour lesquelles ils sont passés à côté de l’émergence de l’âge adulte – par choix ou par nécessité.

Les choses ne fonctionnent pas comme ça, objecte Lerner. Pour être considérée comme un stade du développement, l’émergence de l’âge adulte doit être à la fois universelle et incontournable. Pour de nombreux universitaires, la désinvolture affichée par Arnett quant à l’hétérogénéité des adultes émergents et à leur apparition dans certaines cultures et pas dans d’autres – voire chez certaines personnes et pas chez leurs voisins ou leurs amis – dessert sa théorie.

Pourquoi est-ce important ? Parce que, si l’entrée retardée dans l’âge adulte est juste une aberration temporaire liée à des mœurs changeantes et à une crise économique, il faut se débattre avec, quitte à éprouver un peu de compassion pour ces jeunes qui ont eu la malchance d’atteindre leur majorité en pleine récession. En revanche, s’il s’agit d’une véritable étape de la vie, cela nous oblige à repenser notre définition du développement humain et à créer des systèmes éducatifs, de santé et une protection sociale qui en tiennent compte.

L’âge de la désinvolture

Il y a un siècle, il a été bon de regarder les adolescents comme des êtres occupés à mûrir et non pas comme des paresseux et des rebelles. C’est ainsi que la société a pu admettre que ce groupe avait des besoins particuliers en matière d’éducation, de soins médicaux, de santé mentale, ainsi que d’aide sociale, et qu’il s’agissait d’un investissement pour l’avenir. Les gens de 20 ans sont eux aussi en plein travail, même s’ils semblent ne pas avoir de but et ne pas remplir leur part du contrat, affirme Arnett. Mais le peu de ressources consacrées à les aider financièrement et à leur apporter une certaine sécurité est le reflet de notre attitude collective vis-­à-vis de cette étape de la vie.

Ces jeunes adultes sont comme les cellules souches du développement humain, l’incarnation du moment où tout est possible. Les décisions prises et les actes réalisés à cette période ont des répercussions durables. C’est le moment où la plupart des gens engrangent l’essentiel de leur savoir, rencontrent leur futur conjoint et les amis qu’ils conserveront plus tard, commencent une carrière qu’ils poursuivront longtemps. C’est la période où l’on entreprend des aventures, des expériences, des voyages, des relations avec une désinvolture que l’on n’a plus par la suite.

Cela signifie-t-il qu’il est bon de laisser flâner ces jeunes – ou même de les encourager à le faire – avant de se ranger ? C’est la question qui taraude de nombreux parents. Il est facile de voir les avantages de la procrastination. L’âge adulte et les obligations qu’il implique arriveront bien assez tôt, alors peut-être que, si les enfants prennent davantage de temps pour choisir leur copain et leur carrière, ils feront moins d’erreurs et vivront plus heureux. Mais les inconvénients sont aussi faciles à voir. Si le processus d’installation dans la vie des adultes émergents traîne en longueur, la société peut s’en trouver déstabilisée. Les parents doivent aider à payer des factures qu’ils n’avaient pas prévu de payer et les institutions sociales manquent de jeunes pour contribuer à la productivité et à la croissance. Bien sûr, la récession complique les choses et, même si tous les jeunes étaient prêts à ne pas observer le moratoire de l’“émergence” et à agir en adultes, il n’y aurait pas nécessairement de travail pour eux tous. Nous vivons une drôle d’époque et nous ne savons pas s’il faut laisser ces jeunes continuer d’explorer et de se questionner ou leur couper les vivres et leur dire de trouver quelque chose, n’importe quoi, pour faire bouillir la marmite et se mettre au boulot.

Arnett aimerait nous voir choisir une voie médiane. “Etre un jeune Américain aujourd’hui, c’est éprouver à la fois de l’excitation et de l’incertitude, de nouvelles libertés et de nouvelles peurs”, écrit-il dans Emerging Adulthood. Pendant ce répit qui leur est accordé, “les adultes émergents développent des compétences pour la vie de tous les jours, ils comprennent mieux qui ils sont et ce qu’ils attendent de la vie, ils commencent à construire les fondations de leur vie d’adulte”. Si cela fonctionne réellement de la sorte, si ce chemin plus long vers l’âge adulte conduit à plus de discernement, alors cela vaut franchement la peine d’attendre que ces jeunes pousses arrivent à maturité.
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ericvar
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Message par ericvar »

Effectivement cet article est très interressant. Ce n'est pas une révélation mais une approche et des constatats que l'on peut faire ici en France. En temps que baby-boomer j'ai pu sentir cela chez mes grands enfants; 40 et 30 ans et j'attend (si je survis) de voir comment cela se passera pour mes plus jeunes de 14 et 10 ans.

Une explication peu abordée dans cet article est la prise en compte de l'allongement conséquent de la durée de vie dans nos pays occidentaux . Ces adultes émergeants, voyant leurs parents et grand-parents souvent en pleines formes ( avec parfois divorce, nouvelle union même après décès d'un conjoint pour les séniors ) doivent sentir qu'ils ont "toute la vie devant eux"?
Quant à la maturité du cerveau plus tardive, n'est-elle pas directement liée à la nécessité actuelle d'avoir de plus en plus de connaissance ?

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ametpierre
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Message par ametpierre »

Quant à la maturité du cerveau plus tardive, n'est-elle pas directement liée à la nécessité actuelle d'avoir de plus en plus de connaissance ?
bien sûr concernant la maturité intellectuelle.
la cause principale de cet entre deux, je la vois surtout au niveau de l'extrême difficulté pour les jeune à accéder au logement et à la propriété, il y a maintenant dans notre pays des zones géographiques entières où cela est devenu tt simplement impossible.
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